METTRE LES ENFANTS EN PRISON...
Mettre les enfants en prison…
Mettre les enfants en prison. C'est ce vers quoi le Ministre de la Justice fait travailler une trentaine d'experts triés sur le volet ! Mardi 15 avril, la garde des Sceaux Rachida DATI a mis en place une commission chargée d'adapter l'ordonnance de 1945, qui traite de la délinquance des mineurs. En 2006, Nicolas Sarkozy avait déjà affirmé qu' "on n'est pas mineur aujourd'hui comme on l'était en 1945". A l'heure où les jeunes acquièrent l'autonomie de plus en plus tard, la justice voudraient les considérer responsables et donc « adultes » de plus en plus tôt…
achida DATI a installé mardi 15 avril une commission chargée de réformer l'ordonnance de 1945… pour la 33ème fois ! Ce texte fondateur pose le principe de la primauté de l'éducatif dans le traitement de la délinquance des mineurs. Nicolas Sarkozy dit qu'il n'est plus adapté aux enfants d'aujourd'hui... Sur ce point, celle qui a mis en œuvre les lois sur la récidive, la rétention de sûreté, les pleines plancher, risque bien de n'être ici que la « voix de son maître ». Elle ne cesse d'ailleurs depuis sa prise de fonction, de relayer les propos du Président qui déjà lorsqu'il était Ministre de l'Intérieur pérorait : "On n'est pas mineur aujourd'hui en 2006 comme on l'était en 1945". A l'horizon, toujours pas plus d'éducateurs et de structures d'accueil diversifiées pour les jeunes, réclamés pourtant de longue date par les professionnels de terrain de la justices des mineurs, pas plus de moyens non plus en terme de prévention ou de soins, en terme de pédopsychiatrie par exemple, d'ouvertures de maisons des adolescents ou de points accueil jeunes…. Répression, répression !
Ce groupe de travail est composé d'avocats, de magistrats, de sociologue, de pédopsychiatre et doit "remettre à plat " l'ordonnance du 2 février 1945.
Début 2008, la Chancellerie a précisé ses intentions sur la réforme d'ordre "législatif" qu'elle envisage. Il faudra réfléchir à un abaissement des âges minimum à partir desquels un enfant relève de la sanction pénale suivant les délits. Rachida DATI souhaite une individualisation par tranche d'âge (10/13, 13/16 et 16/18 ans).
La majorité des professionnels sont très inquiets. Ils attendaient des moyens financiers, de structures et humains qui n'arriveront pas. L'Unicef-France a rappelé que la fixation d'un âge minimal pour répondre d'une infraction était exigée par la Convention Internationale des Droits de l'Enfant (CIDE), ratifiée par la France en 1990 et dont "le caractère universel (...) devrait primer sur les normes de notre droit national". Et a ensuite appeler la commission à considérer que l'âge de 12 ans est l'extrême minimum et à encourager à tendre vers les pays européens qui l'ont fixé à 16 ans et non vers ceux qui l'évaluent à 7 ans.
Le Syndicat de la magistrature (gauche), craint qu'elle ne vise à "faire définitivement la peau de l'ordonnance de 1945 en gommant une fois pour toutes les spécificités du droit pénal des mineurs". Pour terminer, Rachida DATI souhaite "codifier" ce droit, c'est-à-dire l'inscrire dans le code pénal. Selon Hélène FRANCO, secrétaire générale du Syndicat de la Magistrature, cela "signifie symboliquement qu'il n'y aura plus de texte pour les mineurs. Elle regrette qu'il n'y ait eu "aucune évaluation" de la demi-douzaine de lois qui depuis 2002 ont déjà réformé le traitement de la délinquance des mineurs.
Il me semble pour ma part, que l'on oublie un peut trop vite que la délinquance des mineurs est, le fait de personnes immature par définition. On parle ici de l'âge, ou des âges peut-être, de la recherche de l'indépendance, des révoltes, de la quête d'identité en même temps que de l'appartenance à un groupe d'individus, des interrogations, des inquiétudes, de la prise de risque, et des faux pas. C'est aussi à cette période de la vie que la solidité des adultes qui nous entoure, de la qualité et de la stabilité des conditions de vie, matérielles et morales, sont essentielles et déterminantes dans l'attitude et la construction de l'être. C'est l'instant ou le désarroi des adultes laisse la place chez les jeunes, à toutes les transgressions. Chaque parent peut être concerné, personne n'est à l'abri.
Les études montrent qu'un nombre élevé de ces jeunes qui passent à l'acte et qui récidivent ont 16-18 ans, sont déscolarisés depuis 2 ou 3 ans, et sont sans aucune activité. Ils subissent la ségrégation liée au logement, habitent souvent les mêmes quartiers. Découragés par ce qu'ils perçoivent comme des échecs, persuadés de leur inutilité, dévalorisés, il traînent, se livrent à des trafics, volent, provoquent, cherchent l'excitation dans des jeux violents, se mettent en scène et se filment sur leur mobile. Ils sont souvent eux-mêmes victimes de violences physiques et sexuelles et exposés plus que de coutume à la consommation d'alcool ou de drogue.
Leur famille ne sont pas complices, mais spectatrices impuissantes d'un mode de vie qui leur échappe ; elles ne détiennent pas la clef qui leur permettrait de sauver leur enfant. Comment penser une seule minute qu'un emprisonnement puisse changer la donne ?
La réponse judiciaire pour être efficace doit responsabiliser le jeune délinquant par rapport à son acte, à ses conséquences, lui faire prendre en considération la souffrance de la victime, regarder vers l'avenir grâce à un projet susceptible d'éviter une réitération en assurant l'insertion du mineur dans la société. C'est pourquoi il m'est impensable de radicaliser la répression et de faire de l'enfermement la réponse automatique à la délinquance des mineurs. Cette solution est inefficace et même dangereuse pour la société.
Aujourd'hui, toutes les réponses existent dans le droit pénal des mineurs, tant en terme éducatif que de sanctions. Reste à donner les moyens de les appliquer correctement, c'est-à-dire avec des moyens matériels, humains et temporels adaptés.
En tout état de cause, il me semble être une réalité qu'à 16 ans on n'est pas adulte, volonté politique ou non… Beaucoup souhaitent « qu'à l'heure des discours sur l'ouverture et la modernisation, un grand débat public dépassionné sur la délinquance des mineurs, associant tous les professionnels de l'adolescence, soit engagé préalablement à toute nouvelle réforme législative, alors même que les précédentes n'ont jamais fait l'objet d'évaluation. Un tel débat devrait déboucher sur une politique jeunesse audacieuse, à la mesure des espoirs et des fragilités de l'adolescence, ferait honneur aux adultes de ce pays. »
sur l'ordonnance de 1945
Le 4 septembre 1944, François de MENTHON est nommé Garde des sceaux dans le gouvernement provisoire. Issu de la noblesse terrienne il a toujours vécu, comme de Gaulle en rupture avec son milieu. Au cours de sa jeunesse d'étudiant en économie, il participe avec passion au combat des chrétiens qui luttent pour sortir l'église de l'ornière du cléricalisme, en particulier par la fondation, en 1924 du Parti Démocrate Populaire qui se réclame de la pensée de Lamennais et d'Albert de Mun. Il appuie l'action de l'abbé Guérin qui fonde l'Action Catholique de la Jeunesse Chrétienne en 1926 et devient président de l'Action Catholique de la Jeunesse Française.
Sur le plan théorique, il participe aux travaux de l'Action Populaire animé par le père jésuite Desbuquois et en 1936 il se rallie au courant de la Jeune République. Durant la guerre, il fonde le réseau de résistance Liberté et, dès l'été 42, il crée le Comité Général d'Etudes, véritable conseil d'Etat clandestin, chargé de préparer les réformes administratives d'après-guerre.
De fait, à la libération, c'est au CGE qu'incombe la tâche délicate de sélectionner les commissaires de la République qui auront pour fonction de " parler très haut et très fort au nom de la France " (De Gaulle) pour s'imposer aux Américains et à la Résistance. Avec l'appui de Michel Debré et P.-H. TEITGEN, il fait nommer des hommes de caractère qui sauront imposer " la guerre, le rang, l'Etat ".
Dès sa nomination comme Garde des sceaux, de MENTHON désigne Michel AMOR en qualité de directeur de l'Administration Pénitentiaire à laquelle est rattaché le bureau d'application des peines ayant compétence pour les adultes et les jeunes. Il y retrouve un jeune sous–directeur, Pierre CECCALDI, possédant une grande maîtrise des dossiers administratifs, et un magistrat, Paul LUTZ, qui ont su traverser la tourmente en gardant une relative indépendance ; ils ont pu notamment, faciliter le recrutement de jeunes éducateurs qui par-là même échappaient au Service du Travail Obligatoire (S.T.O.).
Lorsque la direction de L'Education Surveillée est créée, il nomme en qualité de directeur, Jean-Pierre COSTA, ex-commissaire de la République. Le ministère des Finances toujours opposé, par principe, à la création d'une nouvelle direction administrative finit par s'incliner face à la pugnacité d'André PHILIP, rapporteur du budget.
C'est dans ce contexte marqué par une conception volontariste et généreuse de l'organisation sociale, surplombée par l'Etat qui en est à la fois garant et arbitre, qu'est promulguée l'ordonnance du 2.2.45. Il ne fait alors de doute pour personne que, symboliquement, par-delà ses aspects juridiques, elle s'inscrit dans le grand retour de la laïcité de l'Etat. Le juge des enfants, investi du pouvoir régalien, devient l'homme de synthèse des apports du psychiatre, de l'éducateur, de l'assistante sociale et garant de la mesure éducative. Ce n'est pas par hasard si J.P. COSTA organise les premiers stages de juges pour enfants à la Cour des comptes, haut lieu de la légalité républicaine et à l'Institut national d'éducation populaire dépendant d'une direction qui vient d'être confiée à l'écrivain Jean GUEHENNO, figure de proue des intellectuels du front populaire.
Par ailleurs il n'est pas sans intérêt de constater –nous sommes toujours dans l'ordre du symbolique, que dès le départ la nouvelle administration sera fermement
La naissance
Soutenue par le ministre de l'Education Nationale, René CAPITANT, professeur de droit public et ancien membre du cabinet de Léon BLUM qui accepte le détachement de l'inspecteur d'académie Henri MICHARD et de plusieurs instituteurs.
L'ordonnance du 2-2-45 crée une juridiction spécifique pour juger les enfants qui permet de substituer aux mesures répressives des mesures d'éducation. Cependant, l'article 2 stipule que "le juge pourra, lorsque la personnalité de l'enfant l'exige, prononcer une condamnation pénale ". La personne lésée peut intervenir au procès au titre de partie civile ou prendre l'initiative de saisir le juge des enfants. Des mesures provisoires peuvent être prescrites pendant toute la durée de l'instruction.
Dans sa formulation, elle permet de prendre à l'encontre des mineurs toute la gamme des mesures juridiques, depuis la simple admonestation jusqu'à l'incarcération, en passant par la liberté surveillée, le foyer de semi-liberté, l'internat spécialisé, dont on peut imaginer toutes les formes, sans exclure les centres de placement immédiat ou à encadrement renforcé.
Ainsi, sauf à en vouloir plier la fonctionnalité aux surenchères électoralistes, la mise en cause de l'Ordonnance de 1945 n'a pas la moindre justification.
En revanche, sur le plan des principes, sa révision, qui au mieux en détruirait l'équilibre mais qui plus vraisemblablement la viderait de tout ce qui en fait l'originalité et l'opérationnalité, signifierait un renoncement, un reniement, et en tout cas un grave recul par rapport aux belles réformes portées par le Gouvernement Provisoire présidé par le général De Gaulle.
Plus prosaïquement elle marquerait la soumission des pouvoirs publics et de l'Etat, aux discours sécuritaires alarmistes, démagogiques et anti-jeunes, sans que pour autant la préoccupante question de la sécurité s'en trouve un tant soit peu traitée.
Les évolutions
L'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à la délinquance des mineurs a subi une trentaine de réécritures partielles. Soumise régulièrement à des adaptations, elle n'en demeure pas moins d'une grande actualité, en privilégiant l'éducation sans pour autant s'interdire la répression.
La délinquance des mineurs a toujours fait débat dans notre société. Au point d'occuper une place de choix dans la plupart des campagnes électorales. « Le problème de l'enfance coupable demeure l'un des problèmes les plus douloureux de l'heure présente… La criminalité s'accroît dans des proportions fort inquiétantes et l'âge moyen de la criminalité s'abaisse selon une courbe très rapide.
Primauté de l'éducatif
Ce texte crée un tribunal et un juge pour enfants, en sus de la direction de l'éducation surveillée – aujourd'hui dénommée direction de la protection judiciaire et de la jeunesse –,placée sous l'autorité du ministère de la Justice. Il définit clairement la primauté de l'éducatif sur le répressif, gage de sa pérennité, en dépit de nombreuses modifications – une trentaine de réécritures partielles – qui ne porteront cependant jamais atteinte à sa portée générale. L'idée est de considérer l'infraction non pour elle-même, mais comme le symptôme d'une inadaptation sociale qu'il convient de traiter La sanction cède le pas à l'éducatif. Les mineurs bénéficient d'une présomption générale d'« irresponsabilité » qui n'est susceptible de dérogation qu'à titre exceptionnel.
Cette conception est confirmée, en 1956, au terme de l'arrêt dit «Labouche» de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui estime que «si les articles 1 et 2 de l'ordonnance du 2 février 1945 posent le principe de l'irresponsabilité pénale du mineur, abstraction faite du discernement de l'intéressé, et déterminent les juridictions compétentes, encore faut-il, conformément aux principes généraux du droit, que le mineur dont la participation à l'acte matériel reproché est établie, ait compris et voulu cet acte; toute infraction, même non intentionnelle, suppose en effet que son auteur ait agi avec intelligence et volonté.» La portée de ce texte est confirmée en 1958 par une nouvelle ordonnance qui institue l'État protecteur, appelé à intervenir dans les affaires familiales,dans l'intérêt du mineur. En dessous de 13 ans, seules des mesures éducatives peuvent être ordonnées. De 13 à 16 ans,la juridiction peut prononcer des mesures éducatives ou des peines dont le plafond atteint la moitié de celui prévu pour les adultes ;audelà de cette limite d'âge,l'alternative subsiste jusqu'à la majorité pénale (18 ans). Toutefois, par décision motivée, la juridiction peut écarter le bénéfice de l'atténuation.
Excuse atténuante
Au gré du temps, certains actes sont criminalisés, d'autres pas. La loi du 24 mai 1951 renforce ainsi les garanties juridictionnelles, tandis que d'autres modifications introduisent des dispositions directement inspirées du droit des majeurs – travail d'intérêt général, sursis avec mise à l'épreuve, contrôle judiciaire – ou propres aux mineurs, en privilégiant la réparation. Certains textes, enfin, tendent à accélérer la réponse judiciaire, sans pour autant modifier l'esprit de l'ordonnance. Plus près de nous, le législateur réagit au sentiment d'insécurité grandissant en adoptant, le 9 septembre 2002, une loi d'orientation et de programmation qui marque un véritable tournant en matière de protection des mineurs. S'il s'agit toujours, officiellement, de privilégier la prévention et la socialisation, la répression entre en force dans le droit français, marquant un durcissement sensible de la réponse pénale faite aux mineurs. Adoptée au Parlement cette loi fait l'objet d'une saisine du Conseil constitutionnel qui en profite pour ériger deux principes fondamentaux. Le premier maintient « l'excuse atténuante de minorité », en considérant que la responsabilité pénale des mineurs doit impérativement être atténuée en fonction de l'âge. Le second contraint les pouvoirs publics à poursuivre une finalité éducative. L'essentiel est préservé, même si les mesures préconisées depuis tendent à s'aligner sur le régime applicable aux majeurs. Gare aux dérapages…