SEINE-SAINT-DENIS : UNE MEMOIRE SELECTIVE !!!
ARTCILE PARU DANS LE MONDE DIPLOMATIQUE - jeudi 25 septembre 2008
« 9/3, Mémoire d'un territoire »,
un documentaire de Yamina Benguigui
Seine-Saint-Denis, une mémoire sélective
Lors de la projection de presse de 9/3, Mémoire d'un territoire (1), Yamina Benguigui revient sur la projection de son précédent film Le Plafond de verre au cinéma le Saint-André-des-Arts, en novembre 2005 : « La tension est présente, dans la salle comme à l'extérieur. Les CRS bouclent le quartier, puis chargent… dans la salle des cris ; puis, un cri plus puissant : "Tahyia le 93" », « Vive le 93 », qui lui rappelle « le dernier plan du film La Bataille d'Alger, où l'on voit le visage de trois femmes dont l'une va hurler "Tahyia el Djezaïr" », « Que vive l'Algérie ». On apprend aussi que la Seine-Saint-Denis, créée en 1964, reçoit le numéro 93 qui était celui attribué au département de Constantine du temps de l'occupation française.
Dans ce nouveau documentaire, Yamina Benguigui s'intéresse donc à ce « territoire maudit » et veut « raconter la genèse de ce département ballotté au gré des fluctuations économiques, en lui restituant son histoire, sa mémoire, sa dignité et le respect qui lui est dû. Le rattacher à tous les autres morceaux de France ». En trois actes, il couvre la période de 1850 jusqu'aux émeutes de 2005. Chaque partie se nourrit de documents d'archives où alternent les témoignages d'habitants, de spécialistes (historiens, urbanistes, architectes), de responsables politiques (préfet, députés, maire). Deux ans de travail et d'investigation sur le département. Les images d'archives sont impressionnantes, riches, décapantes ; elles déroulent l'épopée industrielle de 1850, lorsque Paris délocalise ses industries polluantes et dangereuses.
Le Nord-Est est choisi en raison de l'espace disponible, mais surtout de son orientation géographique : il fallait un lieu dont les vents ne favoriseraient pas l'envol des fumées d'usine et des odeurs pestilentielles vers la capitale. Le déplacement des populations est organisé pour assurer la main-d'œuvre ; les ouvriers parisiens puis les provinciaux (Bretons, Auvergnats...), les immigrés européens (Italiens, Espagnols, Portugais…), enfin l'immigration coloniale (Antillais, Algériens, Maliens…), dont de nombreux enfants. Ils assureront la prospérité de ces industries au détriment de leur santé et de leur vie. C'est l'ère de la construction de logements à bas coût mais à grande échelle. Puis l'année 1973 amorce la désindustrialisation avec la crise économique, le choc pétrolier, le délabrement des cités et la fermeture des usines qui vont conduire les populations vers le chômage, la misère, la précarité. L'absence de perspectives économiques et sociales, les difficultés d'accès à un logement digne, le racisme, accompagneront la naissance des générations nouvelles.
Le film s'ouvre sur des images des émeutes de novembre 2005, répétées ensuite comme pour lui donner une sorte de tempo jusqu'à sa conclusion sur un hommage à Zyad et Bouna, décédés à Clichy-sous-Bois. Des images de jeunes de dos, aux prises avec les forces de l'ordre, sur fond de car de police en feu et de CRS en retrait, déjà vues, rabâchées sur toutes les chaînes de télé. Qui ne disent rien et sur lesquelles le fond musical d'une chanson douce de Souad Massi vient constituer comme une oblitération supplémentaire de l'origine et de la violence de ces révoltes. Sur les éléments déclencheurs, l'électrocution mortelle de deux jeunes et d'un troisième, gravement blessé, parce qu'ils étaient poursuivis par la police, sur les accusations de vol à leur encontre et divers mensonges d'Etat, sur le lancement d'une grenade lacrymogène dans une mosquée… on ne verra rien. Une occultation systématique qui a pour résultat la dépolitisation du sujet traité.
On peut également s'interroger sur le choix des personnalités politiques à l'affiche : M. Xavier Lemoine, maire UMP (ex-MPF de Philippe de Villiers) de Montfermeil, bien connu pour son arrêté anti-jeunes (2), et ses points de vue sur la mixité sociale (3). Ou encore M. Claude Bartolone, président du Conseil général depuis mars 2008 (le film a été tourné entre septembre 2006 et juin 2008), qui nous parle quasiment des ténèbres dans lesquelles la lumière va jaillir... N'était-il pourtant pas élu sur le département depuis 1982 puis ministre de la ville ?
La parole aurait également pu être donnée à un élu communiste au regard de l'histoire politique, culturelle et sociale du 93, dont le conseil général, depuis sa création, en 1968, était sous présidence communiste. Ancré à gauche depuis les années 1930, ce territoire tenait sa réputation de « banlieue rouge » de l'implantation du PCF lors des municipales de 1935, préfigurant l'avènement du Front populaire. Avec un pouvoir municipal, un mouvement syndical et associatif fort, les organisations ouvrières y ont joué un rôle déterminant dans les luttes des travailleurs et l'intégration des étrangers, cristallisant le mouvement révolutionnaire dans la banlieue nord, une histoire étrangement occultée par le documentaire.
Marina Da Silva et Zouina Meddour